La réforme des retraites a eu pour principale conséquence de dresser un constat : celui de l’exclusion des citoyens du processus parlementaire. Alors comment, à l’avenir, y remédier ? Comment associer le citoyen à toutes les étapes de l’élaboration de la loi ? Beverley Toudic, doctorante à l’Université de Lille et directrice des études du pôle démocratie l’Institut Rousseau défend la proposition du droit d’amendement citoyen. Elle a pu en exposer les contours à l’occasion du cycle de visio-conférences de Lueurs Républicaines.
Cette proposition a été formulée en 2015 par Olivier Faure et Vito Marinez dans une note pour la Fondation Jean Jaurès. La réflexion part d’abord du constat suivant : en 1958, pendant l’élaboration de la constitution, les juristes n’avaient pas anticipé l’évolution de la société et l’avènement du citoyen connecté au travers des réseaux sociaux qui facilite et pousse à la participation des citoyens à la vie démocratique. Pourtant, le seul mécanisme de participation était le référendum “top-down” constitutionnel ou législatif. Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) ne constitue pas pour autant une réponse. Quant au Référendum d’Initiative Partagée (RIP), il se révèle être un appareil déconnecté de la démocratie représentative. Le processus est si drastique qu’il est presque impossible de mener à terme une initiative. En effet, elle nécessite l’appui de 20% des parlementaires et de 10% de la population (4,8 millions de citoyens). De plus, il ne peut avoir lieu que si les deux chambres refusent d’examiner le texte. Aujourd’hui, la légitimité de la loi n’est plus issue forcément du Parlement, mais bien du processus décisionnel en lui-même, de la délibération.
C’est à ce blocage démocratique que le droit d’amendement citoyen veut répondre. Il ambitionne de faire entrer directement le citoyen dans le processus législatif. A la différence des conventions citoyennes qui associent le citoyen en amont pour consulter et des référendum qui vient plébisciter un projet en aval, ce dispositif vise à associer le citoyen pendant son cheminement législatif.
Ce dispositif s’organise via une plateforme interactive entre les citoyens et les élus. Les citoyens ont à disposition la délibération telle qu’elle est présentée et peuvent l’amender sur la plateforme. Si 45 000 personnes soutiennent la proposition (ce qui représente 1/1000 du corps électoral), par un « like », le rapporteur doit présenter la proposition en commission. Ce dernier dispose tout de même d’un libre-arbitre, il peut la présenter sans pour autant la soutenir. Les propositions ayant recueilli 45 000 “likes” mais qui n’ont pas été adoptées seraient gardées en annexe pour que, lors de l’examen de la loi, les parlementaires puissent les reprendre. L’objectif est d’inciter le débat, y compris en dehors du Parlement, afin que les propositions les plus consensuelles soient intégrées.
Ce dispositif a été expérimenté avec succès lors de la loi pour une République numérique portée par Axelle Lemaire. Ce n’est pas moins de 21 000 participants qui ont proposé près de 8000 contributions, et le texte a été enrichi de plusieurs dizaines d’articles grâce à l’intelligence collective. Il n’existe aujourd’hui aucun dispositif se rapprochant du droit d’amendement citoyen dans un autre pays. L’initiative la plus semblable est en Italie où le Mouvement 5 étoiles avait mis en place une plateforme destinée seulement aux militants du parti. Les parlementaires mettent des propositions de loi en ligne à l’ordre du jour du Parlement, et les militants se prononcent pour que les parlementaires votent pour ou contre lesdites lois.
Néanmoins, cette proposition repose sur un élément central : le numérique. A l’heure où 13 millions de français sont touchés par l’illectronisme – la difficulté ou l’incapacité à utiliser les ressources numériques – et où le territoire comporte encore de nombreuses zones blanches, le dispositif risquerait d’exclure des franges importantes de la population. Pour pallier cela, il est possible d’imaginer l’organisation d’ateliers mensuels en circonscription où des débats pourraient se tenir ; ou encore de mettre à disposition des citoyens des ordinateurs en mairie. Cela entraînerait cependant des coûts supplémentaires et de la mobilisation d’une main d’œuvre déjà manquant dans les effectifs communaux.
Même si cela implique une meilleure inclusion numérique des citoyens, ce dispositif novateur à la force de proposer une participation citoyenne au sein même de la procédure législative et de sortir de la vision où le citoyen n’a, dans le meilleur des cas, pour rôle que la ratification d’un texte de loi, quand il n’est pas exclu de la prise de décision.