Par Rémi BOUSSEMART, membre du Bureau national de Lueurs Républicaines.


Depuis l’entrée en fonction de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Education nationale, l’école en France n’a connu qu’une descente aux enfers. La manière dont s’est déroulée la rentrée du 3 janvier 2022, en pleine vague épidémique avec le variant Omicron, n’en est que la triste démonstration. Car le « management Blanquer » est aujourd’hui synonyme de destruction de l’école de la République, et ce qu’elle a connu pendant tout le long de la crise sanitaire en est un exemple frappant.

Un malaise présent depuis plusieurs années dans le corps enseignant

Objectivement, nous ne pouvons pas imputer à l’actuel occupant du 110 rue de Grenelle tous les maux qui traversent l’école et que connaissent les enseignants aujourd’hui. Perte de reconnaissance dans la société, gel du point d’indice et perte de pouvoir d’achat, manque structurel de moyens : depuis déjà de très nombreuses années, la profession d’enseignant est de plus en plus difficile à exercer. Cette dynamique est encore plus criante pour les professeurs du primaire (de maternelle et d’élémentaire). En atteste le chiffre de candidats présents aux examens écrits du concours externe de recrutement de professeur des écoles, passant de 34 952 en 2010[1] à 26 257 en 2021[2], alors même que le nombre de postes ouverts a augmenté sur cette période de 2000. Aujourd’hui, la vérité est que le métier d’enseignant est devenu si difficile, qu’il décourage ou détruit des vocations. Au moment même où la demande est criante.

Notons par ailleurs que ce profond malaise et cette désaffection pour la profession d’enseignant remonte notamment au quinquennat de Nicolas Sarkozy, marqué par de très nombreuses suppressions de postes (par non-remplacement des départs à la retraite notamment). Un mandat marqué par la suppression des écoles de formation pour les enseignants (du primaire et secondaire), et par des carrières bouleversées pour beaucoup d’enseignants. Une action gouvernementale délétère pour notre école à laquelle a énormément contribué… Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO). Il est alors considéré comme le fil conducteur de la politique éducative du sarkozysme.

Depuis 2017, le fiasco Blanquer et la solitude des enseignants

Le 23 septembre 2019, Christine Renon, directrice d’école à Pantin, se donne la mort. Elle écrit une lettre d’adieux à ses collègues, dans laquelle elle raconte son épuisement, où elle raconte le manque criant de soutien de la part de sa hiérarchie, situation à laquelle sont confrontés tous les enseignants. Un manque de soutien et d’accompagnement dont sera également victime Samuel Paty, avant son terrible assassinat le 16 octobre 2020.

Quelles réactions du ministre Blanquer ? Elles se font encore attendre. En octobre 2019, le quotidien Libération consacrait sa une à une enquête, intitulée « Quand les profs n’en peuvent plus ». Dans celle-ci, il était fait état de la manière dont les enseignants se retrouvent seuls à devoir porter l’école à bout de bras. Le sentiment d’impuissance face à l’effondrement d’un système éducatif d’excellence dans lequel ils croient, la frustration de ne pas pouvoir bien faire son travail, de ne pas avoir les moyens d’accompagner comme il le faut les élèves, parfois en difficulté… Autant de maux qui ne sont pas entendus par Jean-Michel Blanquer, restant impassible et enfermé dans une vision comptable dans laquelle l’école doit être rentable.

Sous les beaux discours et les déclarations de principe, alors que le ministre est considéré comme « le bon élève de la Macronie », qu’il use comme bon lui semble des médias pour se dessiner une image de sauveur de l’Education nationale, les enseignants continuent de souffrir, de rencontrer les mêmes difficultés, parfois amplifiées, notamment par la crise sanitaire.

La crise sanitaire : révélatrice de l’idéologie mortifère du ministre Blanquer

Comme évoqué plus haut, la rentrée 2022 a fait beaucoup de bruit, dans les médias, chez les parents d’élève, mais surtout chez les enseignants. Certes, ceux-ci ont été habitués à une gestion calamiteuse de l’école depuis mars 2020. Changements précipités et non-préparés de protocoles sanitaires, consignes reçues au moment où elles devraient être en application, obstination du ministère à imposer des mesures irréalisables… Autant d’épreuves supplémentaires que les professeurs n’étaient pas prêts à devoir supporter. Et pendant que ce sont bien les enseignants, par leur dévouement de tout instant, qui ont fait tenir l’école et l’enseignement (même à distance) pendant le confinement, en usant de leurs propres téléphones, de leur propre matériel informatique, de leur propre connexion internet, le ministre de la rue de Grenelle sortait un livre glorifiant son action, en septembre 2020, intitulé « Ecole ouverte ». Comme si c’était par son action à lui que cela avait été possible. Quel crachat au visage des vrais artisans du maintien de l’école en France.

Le rentrée 2022 en est un bon exemple. Alors que des appels viennent autant des syndicats enseignants que des professionnels de santé pour demander le report de la rentrée – le taux d’incidence étant début janvier de 800 cas pour 100 000 enfants âgés de 6 à 10 ans – le ministère reste inflexible. « Ecole ouverte » jusqu’au bout. Car depuis le début de cette pandémie, Jean-Michel Blanquer mène une guerre sans merci contre les syndicats, instituant un clivage simpliste et faux entre ceux qui souhaiteraient fermer les écoles et lui, qui les gardera ouverte jusqu’à ne plus pouvoir avoir d’enseignant en face des élèves[3].

Mais surtout, j’espère que longtemps nous nous souviendrons de l’émotion de cet auditeur de France Inter à qui l’on donna la parole pour interpeler le porte-parole du gouvernement, le mardi 4 janvier au matin, expliquant en pleurant l’état physique et mental de sa compagne, directrice d’école, attendant les nouvelles du protocole sanitaire le dimanche soir avant la rentrée[4]. Elle ne le trouva que dans un article, payant, du Parisien publié le dimanche à 17h. Le ministre avait donc eu le temps de donner une interview, mais pas de communiquer aux équipes sur le terrain les informations concernant le nouveau protocole sanitaire. Encore une fois la preuve d’un mépris sans nom envers ceux qui sont les piliers de la République. Le lendemain, rebelotte puisque c’est encore à travers les médias que l’on apprend les nouvelles règles d’isolement pour les élèves contaminés[5]. Pour le ministre, communiquer d’abord vers les enseignants qui vont avoir la charge d’appliquer ces nouvelles mesures ne semblait visiblement pas pertinent. Il a préféré user de la presse – encore une fois un moyen de soigner sa popularité.

Cette méthode, ce mépris continu, ce manque de soutien, de moyens, d’écoute, sont insupportables. Ils contribuent à détruire peu à peu ce qui fait l’école dans notre pays, ce qui fait sa grandeur. Jean-Michel Blanquer est celui qui, peut-être plus qu’aucun ministre avant lui, enterrera sans doute la profession d’enseignant s’il doit rester encore plusieurs années dans ses fonctions. Il est temps qu’enfin la considération et la valorisation du métier d’enseignant soient au centre des priorités gouvernementales. Au risque de voir l’école républicaine s’écrouler, puis la société tout entière.


[1] https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid98688/donnees-statistiques-des-concours-de-professeurs-des-ecoles-de-la-session-2010.html

[2] https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid159189/donnees-statistiques-crpe-2021.html

[3] Mattea Battaglia, « Rentrée scolaire à haut risque : les écueils de la stratégie sanitaire de Blanquer », Le Monde, 3 janvier 2022.

[4] Matinale de France Inter du 4 janvier 2022, https://twitter.com/franceinter/status/1478301017620033538.

[5] Laure Bretton, Benjamin Delille, Cassandre Leray, Elsa Maudet et Stéphane Maurice, « Une rentrée de malades », Libération, 4 janvier 2021.

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