L’élection européenne a la réputation de n’intéresser que peu d’électeurs. En témoignent les chiffres de l’abstention. Technocrates, élus déconnectés, soumis aux lobbys, enclins à la corruption : les accusations ne manquent pas. Pourtant cette élection a pris un tout nouvel intérêt en 2019. L’émergence des enjeux écologiques et la nécessité de combattre le changement climatique à l’échelle supra-nationale a entraîné un regain de participation, notamment chez les plus jeunes, impliqués dans les mouvements tels que Youth for climate. Résultat, le taux de participation aux élections européennes, fut plus important que celui des législatives, deux ans auparavant. Ce scrutin, toujours favorable aux enjeux portés par la gauche ne lui a pourtant pas profité. La preuve en est que pas moins de 6 listes issues de la gauche se sont présentées.
A l’heure de l’union de la gauche autour de la NUPES, qu’en sera-t-il de l’élection européenne de 2024 ? Théo Verdier, de la Fondation Jean Jaurès et Margaux Rouchet, des Jeunes européens reviennent sur cette élection particulière.
Lorsque les partis de gauche entrent en pourparler, la question européenne arrive parmi les premiers facteurs de discorde, aux côtés de l’immigration, la laïcité et du nucléaire. On constate trois chapelles à gauche : un bloc La France insoumise (LFI) – Parti Communiste français (PCF), dont environ 30% de leur électorat se situe dans une opposition marquée à la construction européenne, à la monnaie unique, réceptive au “plan A – plan B” de LFI. Un second composé par le Parti Socialiste (PS) et Europe Ecologie Les Verts (EELV) dont plus de 80% approuvent la construction européenne. Enfin un pôle composé par La République En Marche, attirant une partie de l’électorat de centre-gauche dans un soutien inconditionnel à l’UE. On remarque également que le principal point de friction entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon lors du débat présidentiel de 2017 portait sur l’UE.
Mais vu d’un prisme historique, la question européenne a toujours divisé la Gauche. Lors de la rédaction du programme commun entre le PCF et le PS en 1973, les mesures, notamment économiques acceptées étaient conditionnées à leur application au cadre européen. En 2012, le vote sur le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) fissure pour la première fois la majorité socialiste, avant même l’apparition des “frondeurs” et est voté grâce aux voix de l’UDI et de l’UMP. Lors de l’accord de la NUPES, la question européenne fut l’un des sujets de tension entre le PS qui dans sa tradition de parti de gouvernement souhaite intégrer la coalition majoritaire – allant des sociaux démocrates au parti conservateur, en passant par les libéraux et les verts – et faire pencher les décisions vers la gauche. Tandis que LFI promeut une position de refus d’une coalition avec la droite et de désobéissance vis-à-vis des traités européens, jugés trop restrictifs dans la lutte contre le changement climatique et les règles budgétaires.
On remarque cependant une nette évolution de l’Union Européenne dans ces domaines. Depuis la crise de la Covid-19, la règle des 3% de déficit est mise entre parenthèse et s’accompagne du plan de relance européen. L’UE s’est fortement engagée dans la mise en place d’une taxe mondiale minimale pour lutter contre l’évasion fiscale. L’arrêt des ventes de voitures thermique est acté et une taxe carbone aux frontières européennes sera mise en place.
A un peu plus d’un an des prochaines échéances européennes, la question est de savoir si l’union de la gauche serait efficace et de déterminer ses contours : La priorité vers l’action environnementale, la lutte contre l’extrême droite, faire face aux crises internationales etc… Comment créer un projet commun répondant à ces problématiques pouvant rassembler l’ensemble des familles de gauche. Le type de scrutin lui-même n’est pas propice à l’union. Les élections proportionnelles favorisent l’éclatement des candidatures, sans évoquer la question des groupes politiques au sein du Parlement européen.
La recherche des électeurs est la cohérence. LFI, LREM et le RN ont conservé une stratégie stable au fil des élections européennes, alors que les partis traditionnels ont vu leurs philosophies évoluer et ont vu leur score s’effondrer en 2019. Un compromis entre les familles de gauche qui se tiraillent sur la question européenne pourrait amener à démobiliser leur électorat, qui serait insatisfait des propositions soit trop modérées soit trop radicales issues de ce compromis. Quelles positions adopter sur un éventuel élargissement de l’Union à l’Albanie ou à la Serbie ? Quid de l’Europe de la défense ? Si le fond pose des problèmes, la forme et la stratégie à adopter au parlement en pose également, faudra-t-il faire partie de la coalition ou aller dans l’opposition? Quid de la désignation de la présidente de la Commission européenne, fruit d’une négociation entre États plutôt que de l’émanation du Parlement. L’Union Européenne a besoin d’améliorer la démocratie de ses institutions et de son fonctionnement, à l’heure où les grandes décisions sur la crise en Ukraine et de la Covid-19 ont été négociées par les chefs d’Etat. Le rééquilibrage décisionnel du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne vers le Parlement – seul organe élu directement par une élection à l’échelle de l’UE pourrait être un chantier porté par la gauche européenne à l’avenir.
Au-delà de la question de l’union, la nécessité est à la construction d’un rapport de force issu d’un contact auprès des citoyens se sentant exclus des thématiques abordées par l’UE. Les citoyens européens ont le pouvoir d’influer sur le destin de l’Union Européenne et de se constituer en véritable “lobby citoyen”. Si ce n’est pas le cas et que la démobilisation des électeurs persiste, des lobbys, privés aux antipodes de l’intérêt collectif, remplissent ce rôle d’influence auprès des décideurs européens.