« Debout les assises ! »

CCD : voici l’acronyme qui restera dans l’histoire de la justice française comme celui des « cours criminelles départementales », mais aussi comme celui d’un « crime contre la démocratie ». En effet, si rien n’est fait pour empêcher l’émergence de ces nouvelles juridictions, c’est le jury populaire de cour d’assises, héritage de la Révolution française de 1789,  flambeau de la démocratie participative en matière judiciaire, qui risque de s’éteindre. Pour le comprendre, quelques rappels s’imposent.

L’effacement du jury populaire

Aujourd’hui, presque tous les crimes – c’est-à-dire les infractions les plus graves, pour lesquels le Code pénal prévoit une peine supérieure ou égale à quinze ans de réclusion criminelle – sont jugés en première instance par une cour d’assises. Cette juridiction se compose de trois juges professionnels et de six citoyens tirés au sort sur les listes électorales, ces derniers formant ce que l’on appelle traditionnellement le jury populaire ou jury citoyen.
Or, le champ d’intervention des cours d’assises – et donc, du jury populaire – vient de connaître un recul historique. En effet, la loi du 22 décembre 2021 dite « pour la confiance dans l’institution judiciaire », adoptée sous l’impulsion de l’ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet, prévoit qu’à partir du 1er janvier 2023, tous les crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion criminelle – ce qui concerne essentiellement les viols (90% des affaires), mais aussi les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, les vols à main armée ou encore les tortures et actes de barbaries – sont jugés en première instance par de nouvelles juridictions appelées cours criminelles 

départementales (CCD), dont la principale caractéristique est d’être uniquement composées de cinq juges professionnels. Exit les jurés citoyens.

Un recul démocratique, humain et citoyen

Les crimes relevant de la compétence des CCD représentant environ 60% des affaires criminelles, il s’ensuit que la participation citoyenne à la justice pénale deviendra minoritaire dans notre pays. Le jury populaire n’interviendra plus qu’en appel (dans cette hypothèse, il est composé de trois magistrats professionnels et de neuf citoyens tirés au sort) et pour juger en première instance les crimes punis de plus de vingt ans de réclusion criminelle – tels que le meurtre, l’assassinat ou l’empoisonnement. Jusqu’alors, environ 20.000 citoyens par an étaient appelés à siéger aux assises ; demain, ils seront moins de 10.000 à rendre la justice au nom du peuple français. Funeste déclin  !
Pourquoi un tel sacrifice démocratique, à une heure les Etats généraux de la justice, tout comme l’actuel garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, ont souligné la nécessité de rapprocher la justice et le peuple ? Comment expliquer cet effacement du jury populaire alors que, de l’avis des praticiens et des justiciables, la procédure suivie devant la cour d’assises est d’excellente tenue, notamment parce qu’elle prend le temps de l’écoute et de la pédagogie, lesquels sont nécessaires à l’établissement de la vérité judiciaire et à la reconstruction du lien social ? A une époque où les mérites de la participation citoyenne aux décisions politiques sont sans cesse vantées, comment justifier l’effacement de ce dernier espace démocratique permettant à des citoyens de rencontrer des juges, de délibérer avec eux et de rendre la justice « au nom du peuple Français » ?

Une aberration pratiqueEn réalité, les CCD, qui ont été expérimentées pendant trois ans dans une quinzaine de départements sur le fondement de la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, poursuivent trois objectifs. D’abord, il s’agit d’accélérer le rythme de traitement des affaires criminelles, l’engorgement actuel des cours d’assises conduisant à des délais d’audiencement déraisonnables. Ensuite, il s’agit de réaliser des économies, l’indemnisation des jurés citoyens représentant une charge financière que certains dépeignent comme un « luxe » (indemnité journalière d’environ 80 €, à laquelle il faut ajouter les frais de repas et d’hébergement). Enfin, il s’agit de limiter le phénomène de correctionnalisation, notamment pour éviter que certains viols soient sous-qualifiés en agressions sexuelles pour être jugés plus rapidement devant un tribunal correctionnel composé de trois jugess professionnels.Problème : le dernier rapport d’évaluation des cours criminelles, rendu en octobre 2022 par un comité créé à cet effet, montre qu’aucun de ces trois objectifs n’a réellement été atteint. Plus précisément, le rapport met en exergue les points suivants :

1°) Aucune dé-correctionnalisation associée aux CCD n’a été constatée, alors qu’il s’agissait de l’une des principales ambitions de la réforme. Les récents propos du garde des Sceaux indiquant que les CCD auraient « mis fin à la correctionnalisation » sont tout bonnement fallacieux.
 
2°)  Le taux d’appel des arrêts des CCD (21%) est plus important que celui des arrêts d’assises pour les mêmes affaires (15%), ce qui est coûteux en termes financiers et provoque un allongement des délais préjudiciable aussi bien aux accusés qu’aux parties civiles ;
 
3°) Le délai d’audiencement de 6 mois fixé par la loi devant les CCD est intenable – même au prix d’un surinvestissement supplémentaire des magistrats et des greffiers, dont la surcharge actuelle de travail est déjà dramatique –,  ce qui amène le comité à suggérer le rehaussement de ce délai à 9 mois. Cela le rapprocherait du délai d’audiencement prévu aux assises (12 mois), questionnant consécutivement l’utilité des CCD ;
 
4°) Le comité n’a pas été en mesure de vérifier les éventuelles économies engendrées par les CCD, celles-ci produisant de nombreuses externalités négatives sur le plan financier (augmentation du taux d’appel ; mobilisation de juges assesseurs supplémentaires qui perdront du temps sur leurs fonctions principales civiles ou pénales ; nécessité impérieuse de renforcer les effectifs de magistrats et de greffiers, tout en réalisant des investissements immobiliers pour que le fonctionnement pratique des CCD soit viable, etc.).
 
5°) Le rapport indique que le renforcement des moyens humains dans les juridictions est un préalable « indispensable » à la généralisation des CCD. Si le garde des Sceaux a récemment annoncé une augmentation du nombre de magistrats et de greffiers à l’horizon 2027, rien n’a été précisé quant à la part de ces nouveaux effectifs qui sera affectés aux CCD. Quoiqu’il en soit, en attendant l’arrivée de ces renforts, les CCD devront fonctionner en composant avec l’existant, c’est à dire en situation de pénurie…

Ainsi, même en mettant de côté l’argument – pourtant essentiel –  du recul démocratique, humain et citoyen engendré par la disparition du jury populaire, les CCD apparaissent comme une aberration en termes pratiques.Luttons pour sauver le jury populaire !Alors, comment lutter pour empêcher la généralisation des CCD et l’effacement du jury populaire ? Deux lignes de front ont été ouvertes sur le terrain politique, qui se soutiennent mutuellement.
Premièrement, la députée Francesca Pasquini (EELV) a déposé en octobre 2022 une proposition de loi visant à préserver le jury populaire de cour d’assises,  soutenue par des député.e.s appartenant aux différents groupes de la NUPES, laquelle pourrait être votée en avril prochain dans le cadre de la niche parlementaire du groupe EELV.  
Secondement, j’ai déposé sur le site du Sénat une pétition citoyenne visant à sauver le jury populaire de cour d’assises. Si cette pétition récolte 100.000 signatures, elle pourra être discutée au Sénat. Il vous est possible de la soutenir via le site suivant : 

https://sauvonslesassises.fr/L’idée gouvernant cette pétition est de créer un élan citoyen autour de la préservation du jury populaire, pour un inciter le parlementaires à nouer un consensus transpartisan sur cette question. Il est important que les citoyens se réapproprient ce formidable outil démocratique dont le Gouvernement entend les priver. 
Levons-nous contre réforme anti-démocratique et contreproductive ! Mobilisons-nous pour sauver le jury populaire !  Bref, debout pour les assises ! 

Benjamin FIORINI, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 8.

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