Le sujet des violences policières est de retour. De nombreux vidéos et témoignages de
personnes mobilisées contre la réforme des retraites et l’utilisation de l’article 49-3 en
attestent. Dans le même temps, le mouvement écologiste a subi un recours à la force
particulièrement excessif. A Sainte-Soline, pendant près de trois heures, la gendarmerie a tiré
en moyenne une fois toutes les deux secondes sur les manifestants. Ainsi, sur ce laps de
temps, elle a utilisé plus de munitions soi-disant non létales que pendant toute l’année 2009.
De telles interventions policières ne sont pas des phénomènes isolés. En réalité, comme nous
avons pu le documenter dans Gazer, mutiler, soumettre – Politique de l’arme non létale la
France a connu une multiplication particulièrement forte des violences policières sur les 15
dernières années. Cette brutalisation du maintien de l’ordre, les entraves à des libertés
fondamentales et les risques pour la santé des manifestants qu’elle entraîne, représentent un
défi majeur pour une république qui se réclame de la liberté et l’égalité.

La logique institutionnelle du déchainement de violences
Ce constat constitue un appel à connaître la logique sous-jacente à ce déchainement de
violences. Certains observateurs suggèrent un manque de contrôle indépendant sur l’action de
la police, d’autres critiquent le recours à des unités particulièrement virulentes comme les
BRAV-M. Ancré dans les études sur la police, les paragraphes suivants proposent un autre
éclairage en montrant que la police, en tant qu’institution, contribue à produire et entretenir
des comportements violents.
Notre raisonnement repose sur deux étapes. Tout d’abord, les données disponibles indiquent
qu’on ne devient pas policier par hasard. En effet, ce métier n’attire pas un échantillon
représentatif de la société. Il attire des profils très particuliers : une majorité des personnes
désirant devenir policier ont une conception purement répressive de leur potentiel métier
futur. En schématisant, les prétendants policiers tendent à se distinguer par un goût pour la
violence plus prononcé que la moyenne de la population.
Après ce premier écrémage, la socialisation professionnelle représente la deuxième étape. Ce
terme désigne le processus au cours duquel un policier nouvellement recruté s’approprie les
outils et les gestes techniques du métier, et absorbe des représentations sur le rôle du policier
dans la société. La représentation qui prévaut au sein de l’institution policière est
généralement résumé par l’image de la « citadelle assiégée ». Plus précisément, les policiers
estiment vivre dans une citadelle assiégée. Assiégée par qui ? Par le reste de la population,
que les policiers regardent au mieux avec méfiance, au pire avec hostilité. De l’hostilité à la
violence physique, il n’y a qu’un petit pas, qui est facilement franchi.

Cette mise à distance du reste de la population s’accompagne par la formation d’un esprit de
corps particulièrement solide. Dès leurs premiers pas au sein de l’institution, les jeunes
policiers développent ainsi une solidarité horizontale forte vis-à-vis de leurs pairs et une
fascination pour leurs supérieurs. L’expression de « repli clanique » a émergé dans la
littérature scientifique pour décrire le caractère singulièrement soudé du groupe des policiers.
En somme, l’institution façonne durablement le comportement de ses agents, qui font preuve
d’une méfiance certaine vis-à-vis de l’extérieur et d’une cohésion puissante en interne. C’est
sur ces caractéristiques qu’est construit le fonctionnement quotidien de l’institution : être
policier, c’est se conformer à ces normes.

Une gestion policière en pleine essor
Ces constats ne sont pas sans conséquences sur les diverses propositions mises en avant pour
résoudre le problème des violences policières. Comment le remplacement de l’IGPN, la
« police des polices », par une autorité indépendante pourrait-il briser le repli clanique d’une
institution ? Généralement, pour un policier auteur de violences un certain nombre de ses
collègues sont témoins. Pourtant, rares sont les policiers qui prennent la parole pour dénoncer
des déviances. Dans une optique similaire, il n’est pas clair comment la seule dissolution des
BRAV-M pourrait mettre fin à la production de comportements violents inscrits dans le
fonctionnement courant de toute une institution ? Après tout, les gendarmes mobiles se sont
illustrés par un recours massif à la force : à Sivens en 2014, ils ont tiré 800 grenades en une
seule nuit, dont une a coûté la vie à Rémi Fraisse ; lors de l’évacuation à Notre-Dame-des-
Landes en 2018, ils ont réalisé 11 000 tirs d’armes non létales en quelques jours.
Bien entendu, il serait possible de réduire le nombre de rencontres potentiellement violentes
entre les forces de l’ordre et la population en pratiquant une politique plus à l’écoute des
besoins sociaux et environnementaux du plus grand nombre. Or, comme nous avons pu le
montrer dans Que fait la police ?, les gouvernements successifs prennent le chemin inverse :
ils misent sur une gestion policière de plus en plus forte des préoccupations populaires.
Contrairement au mythe très répandu du manque de moyens et des effectifs de la police, il
s’avère qu’en réalité les deux ont substantiellement augmenté, de plus de 30 %, depuis le
début des années 1990. De la même manière, rien qu’entre 2012 et 2017 le nombre d’armes
non létales à disposition des policiers et gendarmes, dont de nombreuses études attestent le
caractère potentiellement mutilant et mortel, a augmenté de 75 %. Pourtant, sur ces 30
dernières années, les données montrent que ni les manifestants ni la population en générale ne
sont devenu plus violents.
A court terme, recourir aux forces de l’ordre pour imposer des politiques impopulaires est
certes confortable pour un responsable politique, mais la multiplication de violences
policières, donc d’actes discriminatoires et disproportionnés, est manifestement aux antipodes
d’une république qui revendique le principe de l’égalité et de la liberté. »

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