Politique économique, transition écologique, agriculture, immigration, politique
étrangère et de défense : les choix politiques essentiels s’opèrent désormais dans le cadre
européen.


Dans son dernier ouvrage « l’Europe, ennemie de la République ? » (PUF), Liem
Hoang-Ngoc rappelle que le projet européen a été lancé dans le contexte géopolitique de
l’après-deuxième guerre mondiale. L’Union européenne s’est, depuis, constituée puis élargie
autour d’une Union économique et monétaire, où l’intervention des États est fortement
encadrée. Elle ne forme pas une nation, mais s’apparente à une fédération d’États-nations,
non moins perçue comme l’ennemie des nations et, en France, comme une entité
supranationale hostile à la République. L’Europe est malaimée des classes laborieuses, qui
restent néanmoins attachées au fétiche de l’euro, mais considèrent la nation comme un
meilleur rempart face à la mondialisation néolibérale, dont l’Union européenne est accusée
d’être complice. Elle est primée par les « premiers de cordée », qui bénéficient d’un espace
propice à la valorisation de leurs capitaux, mais chaque bourgeoisie nationale ne manque
jamais de mobiliser son propre État pour défendre à Bruxelles ses intérêts particuliers.
L’auteur relate les étapes-clés de la construction européenne et dresse un bilan de
l’euro. Il montre que loin d’être intégrée, l’économie européenne est composée de modèles
nationaux reposant sur des spécialisations spécifiques à chaque pays. En son sein, un budget
européen de la taille du budget fédéral américain fait défaut pour organiser les transferts de
ressources permettant de faire converger le niveau de développement de chaque territoire.


De nombreux États du nord se montrent réticents à la création d’impôts européens ou à
l’émission d’emprunts commun, qu’ils vivent comme une forme de mutualisation de la dette
des pays bénéficiaires des aides européennes. Dès lors, compte tenu de l’impossibilité
d’ajuster, en régime de monnaie unique, les taux de changes des monnaies nationales qui ont
disparu, la « dévaluation interne » (autrement dit l’austérité budgétaire et salariale) est le seul
mécanisme d’ajustement autorisé par les textes européens, pour permettre aux pays
subissant un déficit extérieur de rétablir leur compétitivité. Cette stratégie, appliquée dans
tous les pays de l’UE, s’est avérée impopulaire et inefficace. Elle a conduit à la montée des
populismes.


Liem Hoang-Ngoc montre qu’une stratégie alternative consisterait à laisser chaque
État organiser, par sa politique budgétaire, sa propre réindustrialisation dans le cadre de la
transition écologique. Elle passe par une réforme du Pacte de stabilité, telle que celle
récemment proposée par la Commission européenne, mais torpillée par l’Allemagne, et par
une révision des textes encadrant les régimes d’aides d’État aux entreprises. Cette stratégie
permettrait de pallier les insuffisances du Pacte vert, limité à la mise en place d’un marché
carbone au sein de l’UE partiellement tendu aux pays tiers à la frontière. Elle peut être
favorisée par l’action de la BCE qui a fait montre, au cours de la crise sanitaire, de sa capacité
à influencer positivement les conditions de financement des politiques publiques.
La réflexion de Liem Hoang-Ngoc se démarque du jeu de rôle convenu entre Frexiters
et fédéralistes. Elle part du constat qu’aucune force politique prétendant à l’exercice du
pouvoir, y compris les forces populistes, ne prépare la sortie de l’UE et qu’aucun État n’entend

dissoudre sa souveraineté au sein d’une structure purement fédérale. Dès lors que ni le Frexit,
ni le fédéralisme intégral, n’épousent la préférence de nos concitoyens et de leurs
représentants, l’auteur soutient que l’heure est à la transformation de l’Europe réellement
existante en une union octroyant la dose de souveraineté nécessaire aux nations qui la
composent, pour affronter les défis socio-économiques, climatiques et géopolitiques du
XXIème siècle. Celle-ci doit par conséquent adapter ses règles de copropriété en
s’approfondissant, avant de songer à s’élargir. Compte tenu du destin commun des nations
qui la composent, elle doit enfin se doter d’une défense commune et autonome à l’heure où
la donne internationale est en passe d’être rebattue.

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