- Les violentes faites aux femmes en France, qu’elles soient physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques, constituent une réalité quotidienne qui touche des millions de femmes. Malgré les progrès réalisés ces dernières décennies en matière de sensibilisation et de législation, le phénomène reste un fléau trop souvent ignoré, ou du moins minimisé. Les chiffres, alarmants, sont là pour nous rappeler la gravité de la situation : chaque année, près de 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et sexuelles de la part de leur partenaire ou ex-partenaire. Plus d’une femme sur 10 a été victime de violences sexuelles au cours de sa vie. 122 femmes sont décédés depuis le début de l’année sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.Ces données, publiées régulièrement, témoignent de l’ampleur du problème, mais elles ne traduisent qu’une part de la réalité, car de nombreuses victimes restent encore dans l’ombre, par peur de représailles, de ne pas être crues, ou de subir des stigmatisations. Le processus d’émancipation de la femme victime est un long chemin semé d’embûches, qui est difficile à prendre et cela malgré la libération de la parole des femmes.
Depuis des douze semaines, la France vit au rythme du procès des viols de Mazan. Le parquet a requis, le 25 novembre dernier lors de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, contre Dominique Pélicot, l’époux de Gisèle Pélicot, 25 ans de réclusion criminelle pour avoir drogué, violé et fait violer son ex-épouse, par plus de 50 hommes, à leur domicile durant plus de 10 ans. L’horreur de cette affaire et la banalité des profils des hommes qui ont violé Gisèle alors qu’elle était inconsciente, nous dit tant de notre société et des rapports entre hommes et femmes.
Le Procureur de la République, Jean-François Mayet, lui-même a eu ses mots lors des réquisitions : « l’enjeu n’est pas une condamnation ou un acquittement mais de changer fondamentalement les rapports entre hommes et femmes » au sein de notre société. Le sursaut qu’a provoqué cette affaire au sein de notre pays, au sein de la société doit davantage éveiller les consciences de toutes et tous dans nos rapports à l’autre mais surtout celles des responsables politiques.
La femme n’est pas un être inférieur dont on peut disposer à sa guise.
Ce drame a marqué un tournant dans notre société. Il a éveillé les consciences collectives et rappelé l’importance de l’égalité entre les hommes et les femmes. Partout en France, mais aussi dans le monde, le nom de Gisèle Pélicot raisonne. Elle est devenue pour beaucoup une héroïne. Le procès, qu’elle a voulu public pour que la honte change de camps, nous rappelle l’immense travail qu’il nous reste à faire sur le sujet de l’égalité des sexes, de la notion de consentement mais aussi de la soumission chimique.
Cette sordide affaire est le reflet d’une société malade qu’il nous faudra guérir pour les générations futures. Pour cela, il faut que nos responsables politiques comprennent tout le sens de ce qui se passe actuellement au sein même de notre société. Il faut qu’ils prennent la mesure des mobilisations citoyennes qui se sont tenues partout en France, et dans le monde, ce week-end pour dénoncer les violences faites aux femmes. C’est un bouleversement de la vision de la société telle que nous la connaissons qui se réalise et celui-ci ne peut être accompagné que par une véritable volonté politique de mettre fin à l’impunité des agresseurs.
Pour cela, il faut mieux accompagner et protéger les femmes victimes de violences en renforçant les dispositifs d’accueil et d’écoute des victimes. Actuellement, trop de femmes se heurtent à un manque de moyens et de structures adaptées pour pouvoir s’échapper de la violence, notamment dans les territoires ruraux. Les maisons des femmes, les centres d’hébergement d’urgence et les dispositifs de suivi psychologique sont encore trop insuffisants et saturés. Il faut développer partout sur le territoire des centres d’hébergement d’urgence pour accueillir dans les meilleures conditions ces femmes. Partout en France, il faut développer ces structures et faciliter les prises en charge qui sont insuffisantes.
Il faut également accentuer la formation des professionnels, qu’ils soient policiers, juges ou travailleurs sociaux. Trop souvent, les victimes sont confrontées à des jugements, voire des comportements, qui minimisent leur souffrance ou, pire, les culpabilisent. Les violences conjugales sont encore parfois perçues comme des « affaires privées », et les femmes, par crainte de ne pas être comprises, hésitent à porter plainte. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, seules 14 % des femmes victimes de violences conjugales ont porté plainte, une sur 7. C’est à la fois effrayant mais prouve l’échec de notre fonctionnement dans l’accompagnement des victimes. C’est pourquoi, des formations spécifiques sur les violences sexistes et sexuelles, la prise en charge des victimes et les démarches à suivre sont indispensables pour que la société dans son ensemble puisse être acteur de la protection des femmes.
Il faut également une meilleure articulation entre les forces de l’ordre, la justice et les services sociaux. Dans de nombreux cas, l’absence de communication entre ces différents acteurs aggrave la situation de la victime, qui se retrouve souvent à devoir faire face seule à son agresseur. L’objectif doit être de créer des circuits de prise en charge rapides et fluides, afin d’assurer la protection immédiate des femmes, et de faciliter leur accès à la justice.
Enfin, il faut une législation plus ferme et plus précise. Si des lois ont été adoptées ces dernières années, comme la loi de 2019 sur la lutte contre les violences conjugales, qui prévoit des mesures telles que le placement en détention de l’agresseur, ou la mise en place de bracelets anti-rapprochement, beaucoup reste à faire. En effet, le harcèlement de rue, les violences économiques et psychologiques, ainsi que l’isolement forcé des victimes, nécessitent des cadres législatifs plus étendus pour que toutes les formes de violences soient combattues efficacement.
Réinventons la société de demain, ensemble.
Aujourd’hui, il n’est plus possible d’aborder la question des violences faites aux femmes uniquement sous l’angle de la répression ou de l’aide ponctuelle. Il est indispensable de repenser profondément les rapports sociaux entre les femmes et les hommes. Il nous faut mettre un terme, définitivement, à cette culture de l’impunité qui protège les agresseurs et dissuade les victimes de parler. Pour cela, les réponses légales ou sociales ne sont pas suffisantes. Il nous faudra en plus reconstruire une société dans laquelle les femmes et les hommes puissent vivre dans la dignité, la sécurité, sans craindre pour leur vie ou leur intégrité physique.
Si l’affaire Pélicot fut un sursaut dans notre pays et a permis, grâce à son courage et à la mobilisation citoyenne qui a suivie, de remettre sur le devant de la scène le sujet, ô combien important de la lutte contre les violences faites aux femmes. Cela ne doit pas nous faire oublier, le rôle important des pouvoirs publics dans ce changement. Il en va de l’avenir de notre société, de la justice et de l’égalité des droits pour toutes et tous.
Sarah Haddi, Vice-Présidente de Lueurs Républicaines
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