Pierre Mendès France : un homme politique emblématique du XXème siècle. Pourtant, on ne lui réserve qu’une maigre place dans l’histoire française. Homme de compromis, bâtisseur du modèle social français, il reste une source d’inspiration pour la gauche à l’heure où cette dernière se cherche. Frédéric Potier, préfet, essayiste et romancier, est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, nous a éclairé – dans le cadre du cycle de visio-conférences de Lueurs Républicaines – sur sa vision de la politique. Il a notamment publié « Pierre Mendès France, la foi démocratique » aux éditions Bouquins (2021).
Pierre Mendès France (1907-1982) fut un homme politique emblématique de la vie politique française du XXème siècle. Il fut élu député à 25 ans, puis jeune Ministre de Léon Blum en 1938, puis sous le Gouvernement provisoire de la République Française (GPRF) en 1943 sur le thème de la reconstruction du pays et de l’économie après la guerre. Il met fin à la Guerre d’Indochine et signe les accords de Genève. Il amorce par son exercice du pouvoir les premières étapes de la décolonisation. Il a notamment négocié avec succès une plus grande autonomie pour la Tunisie et le Maroc. Il fut enfin Président du Conseil en 1954. On le classerait aujourd’hui comme un homme du centre-gauche. Préférant le pragmatisme au marxisme, il prôna la justice sociale par l’Etat et le réformisme. Se situant dans la pensée économique de Keynes, il plaida pour investissement massif de l’Etat dans le système productif.
Il a porté l’idée de la planification démocratique : théorisé dans les années 30, notamment par le New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Cette planification est discutée avec un ensemble très varié d’acteurs et non pas par une élite. Elle doit certes associer des économistes, des techniciens, mais surtout des partis politiques, les associations, les régions, les associations d’élus, les représentants des communes, les syndicats, le patronat. A un moment où l’on critique la verticalité des décisions, prises par quelques personnes, ce procédé est une manière d’investir dans l’avenir et de faire des choix démocratiques.
Elle constitue une troisième voie, qui s’oppose au libre échange car cela s’inscrit dans le cadre de l’économie de marché, mais régulée et concertée. Elle doit permettre de penser l’économie avec ses acteurs sur le temps long (6-7 ans).
On peut voir ce processus comme un remède aux périodes de crises : la crise de 1929 et l’inflation, ou encore la Seconde Guerre mondiale et la période de reconstruction qui s’ensuit.
La planification démocratique permet de relier les moyens d’investissement à un contrat de législature : le Gouvernement doit être investi sur 5 ans avec un programme précis, il constitue un exécutif efficace et dispose d’une légitimité démocratique incontestable. Il se distingue clairement de la majorité relative actuelle, qui tente de survivre vote par vote suite à d’âpres négociations.
Si cette idée est cohérente en théorie, elle est limitée dans la pratique. Lors de sa participation au GPRF en tant que Ministre de l’économie en 1943, Pierre Mendès France participe à construire l’économie d’après-guerre à travers le programme du CNR, qui marquera durablement l’économie des Trente glorieuses.
Cependant, il fut écarté au profit de Jean Monnet, qui n’est pas théoricien, mais commerçant de cognac. Il choisit une planification moins dirigiste et moins ambitieuse que son prédécesseur. Il canalise néanmoins les fonds du Plan Marshall. Le plan tombe en désuétude dans les années 1970, car les investissements et les grandes orientations d’après-guerre sont déjà réalisés. La nouvelle ère du commerce international et du choc pétrolier accentua encore cette dynamique. Si François Mitterrand réhabilite l’idée de la planification, il décide de l’attribuer à Michel Rocard, qui n’a pas traduit l’ambition de Pierre Mendès France. Les hauts fonctionnaires ont promu l’idée qu’il fallait laisser faire le marché, démanteler et/ou privatiser des secteurs stratégiques de l’Etat. On redécouvre les bénéfices de l’intervention publique depuis la période de la Covid-19. Il fut redécouvert dans les dernières décennies, avec les organismes comme France Stratégie, la Banque Publique d’investissement et la Caisse des dépôts.
Néanmoins, on peut regretter que la fonction de Haut Commissaire au Plan occupée par François Bayrou n’est qu’un outil communicationnel opportuniste. Il n’a pas de manne financière, contrôlée par Bercy et les organismes économiques; pas de levier fiscal, détenu par le Parlement, et ne peut rendre aucun arbitrage comme un Ministre pourrait le faire. Il ne revêt que d’une logique de concertation, à l’image d’un Think Tank de réflexion économique, comme le Conseil d’analyse économique.
Les enjeux de la planification démocratique de nos jours.
Lorsque les économistes contemporains ont décortiqué la réussite des grands géants étasuniens, ils ont montré que les fonds publics d’investissement ont été fondamentaux : les programmes d’investissement de la NASA ont débouché à la naissance d’internet. Sans intervention publique et de soutien de moyen et long terme, les géants de l’internet et le digital n’auraient pas vu le jour. Les investissements massifs des Etats-Unis, notamment militaires, ont permis de développer l’économie américaine. On comprend donc l’intérêt d’avoir un investissement financier dans l’innovation et la production industrielle.
Le Japon et la Corée du sud, lors de leur période de reconstruction, ont accéléré leur développement économique par le biais d’une planification massive et la constitution de champions nationaux dans des domaines stratégiques et sont identifiés comme faisant partie des pays les plus développés au monde. On parle d’états développeurs.
L’intervention de l’État dans l’économie est considérée comme une remise en cause du mécanisme de l’Offre et de la Demande. Alors que ce schéma de pensée régule, mais fait perdurer cette organisation de l’économie. Pour autant, quand l’État investit, il doit le faire de manière cadrée et concertée. Une fois le secteur choisi est planifié, les logiques de productivité peuvent prendre place.
La planification démocratique peut se traduire par beaucoup de secteurs tant les investissements sont nécessaires et les domaines sont variés : pour la transition énergétique par exemple. La courbe de consommation et de production est à anticiper, il est nécessaire de réfléchir aux conséquences du vieillissement des centrales nucléaires. Le transport ferroviaire nécessite des investissements très lourds sans lesquels l’abandon de la voiture thermique est impensable. Le champ des possibles est vaste.
Une planification européenne est également possible pour les transports, mais aussi dans l’éducation, les centres de recherche. Investir au niveau européen dans des secteurs de pointe permettrait des économies d’échelle. Des exemples existent déjà : Airbus, Ariane, et même Erasmus, qui est un programme européen à succès : on se concentre ici sur des programmes auxquels on donne des moyens. On peut même se rêver à penser à une planification écologique ambitieuse à l’échelle internationale…
La planification démocratique est donc une forme de démocratie ouverte, permettant au politique d’avoir la main sur les investissements majeurs d’avenir.
Alors la planification a-t-elle un avenir à Gauche ?
Aujourd’hui en France, la méthode de la planification est l’un des rares points d’accord et de consensus à Gauche. On pense notamment à la Planification écologique de la France Insoumise. Pour la Gauche, la planification est une sortie de crise, et une sortie des réponses politiques immédiates pour s’attaquer aux problèmes structurels qui vont toucher la société : le vieillissement démocratique (Jérôme Guedj propose la mise en place de la Silver economy, une économie du grand-âge). Pourtant, bien que le programme de la NUPES, inscrit la planification dans son projet, il ne fait que l’effleurer. La constitution d’un programme axé sur la planification démocratique donnerait à la Gauche un projet crédible et désirable d’alternance.
“Gouverner c’est choisir” et il est impossible de lancer des planifications dans tous les domaines en même temps. Il est donc nécessaire de définir des priorités et un calendrier. Un gouvernement de gauche arrivant au pouvoir devra proposer un programme sur 5 ans, définissant des priorités claires et flécher en concertation des investissements conséquents. On redonnerait ainsi de la confiance à la vie démocratique et à l’action étatique.