Le 21 mai 2001, la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité était promulguée. Portée par la députée de Guyane qu’était Christiane Taubira, adoptée à l’unanimité au Sénat quelques jours plus tôt, elle devint officiellement une loi de la République. Cette loi dispose d’abord que “la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l’esclavage perpétrés à partir du XVème siècle contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et dans l’océan Indien constituent un crime contre l’humanité”. Par ces mots, la France, qui fut troisième puissance esclavagiste d’Europe a été le premier Etat au monde à reconnaître la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Elle a assumé et reconnu avoir été actrice d’un système organisé qui transforme l’homme en captif, le déshumanise et lui refuse la dignité propre à l’être humain, le renvoyant à sa seule capacité de production économique.

Si la qualification donnée de crime contre l’humanité renvoie à un traitement juridique particulier, elle met surtout fin à un long déni de la République en sortant du silence le Code Noir qui, durant deux siècles, demeura dans le droit français. Code qui considérait l’homme noir comme un meuble, qui organisait ainsi la domination d’une catégorie de population sur une autre. Ce texte légitimait la violence pour permettre l’obéissance, excluant toute considération humaniste et universaliste. Ce furent les forces républicaines, du progrès social et de l’humanisme qui, avec les prémisses de la IIème République, mirent un terme à la servitude. Pourtant, les compensations financières allèrent aux maîtres, privés de force de travail gratuite, et un pacte du silence fut établi.

Ceci nous pousse à considérer que la République doit toujours évoluer en tenant compte des droits de l’Homme : ses valeurs ne rencontrent pas toujours la réalité mais elle est à construire de manière permanente. Les esprits conservateurs qui voudraient la figer sont ceux qui refusent son idéal. Il nous faut constamment nous demander si l’ordre établi par la République correspond effectivement à ce que nous souhaitons qu’elle représente.

Cette loi a incontestablement fait progresser notre République, rendant visible ce que longtemps les institutions ont voulu taire en invisibilisant une large partie de l’Histoire. Un honteux silence a entouré pendant cinq siècles la souffrance de ceux qui furent réduits à de simples instruments pour leurs maîtres. Le combat législatif entrepris par Madame Christiane Taubira a ainsi permis une prise de conscience collective sur ce qui fut jadis. Les uns auront fait le choix du silence, d’autres celui de regarder l’Histoire en face. C’est grâce aux luttes et révoltes de ces femmes et hommes réduits à l’esclavage qu’il fut mis un terme à l’oppression. Ils ont gagné, par leur courage et force, leur liberté et dignité.

Cette loi constitue un tournant fondamental dans la mémoire de l’esclavage. Elle permet de repenser et de comprendre l’esclavage, pas seulement comme un traumatisme mais comme une volonté de faire société. La mémoire est à transmettre encore et encore, pour que les générations futures, parfois liées à cette histoire par leurs ancêtres, se l’approprient, la comprennent et puissent lutter dans nos sociétés contemporaines contre les discriminations et le racisme. Celle-ci doit passer par la loi, mais aussi grâce au travail objectif des historiens, afin que chacun comprenne et avance sans n’être animé que par des passions tristes issues du système colonial.

Il est indispensable de faire vivre cette mémoire. L’article 2 de la loi du 21 mai 2001 prévoyait donc son enseignement, à travers une approche scientifique car sous un prisme historique. Et pourtant ! La loi disposant, la réalité se fait encore attendre, tant sur un plan d’égalité que de justice et d’honnêteté intellectuelle. En effet, les programmes scolaires ne sont pas unifiés, qu’il s’agisse de ceux des Outre-Mer, ou au sein même de l’hexagone entre filière générale et filière professionnelle au lycée. Toutefois, cette uniformité est essentielle afin de construire une conscience commune de ce crime contre l’humanité. Elle ne peut être laissée de côté, d’autant plus que la servitude, pendant les siècles de son oubli intentionnel, fut reléguée aux anciennes colonies, à ces territoires désignés comme “périphériques” qui seraient les seuls concernés par l’histoire de l’esclavage et sa mémoire. Pendant des décennies, alors que l’esclavage était déjà interdit en métropole, il subsistait dans les colonies. Il est inacceptable de faire perdurer cette différenciation aujourd’hui. Comment justifier d’une France métropolitaine qui se désengagerait du devoir de mémoire collectif de la République ?

Accompagner cette uniformisation en accentuant la formation des professeurs est essentiel, afin de pouvoir répondre aux différentes questions des élèves. Il est important que l’Histoire soit restituée dans sa complexité, afin de la comprendre et de se l’approprier collectivement par une réflexion et une écoute commune. Les enseignants doivent être accompagnés dans cette démarche pour que l’école soit réellement ce lieu d’apprentissage, d’éveil et de conscientisation de notre rapport à la société et à l’état du monde. La pédagogie est la clé de voûte de toutes les réussites futures. Elle fait partie de notre responsabilité et permet d’apporter une certaine lueur dans l’obscurité de l’Histoire. Comprendre l’esclavage et ses justifications est indispensable pour ne pas perdre de vue la promesse républicaine d’égalité. Que l’Etat puisse rester passif face aux crimes qu’il a pu perpétrer n’est pas la définition que nous nous faisons de la République et du vivre-ensemble.

Il est également important de mettre en avant des écrivains, comme Aimé Césaire, Léopold Senghor, et tant d’autres, qui ont contribué au questionnement de la dignité de l’humain. Il nous faut mettre en lumière ces témoignages de la vie de ces femmes et ces hommes pour collecter des récits qui nous permettront de mieux assimiler la tragédie humaine qui s’est déroulée durant des siècles.

Comment ne pas questionner l’organisation de notre espace public ? Cette politique mémorielle ne saurait se distinguer des noms de rues, de places, d’écoles, des statues qui sont installées dans notre espace commun, celui où l’on fait société. Un espace public refusant la mémoire de ceux qui ont souffert ne pourrait être public que pour ceux qui ont été les dominants de l’Histoire. Questionner son organisation est donc primordial. Il ne s’agit pas de nier, de supprimer, de débouler, de débaptiser avec un regard anachronique, mais au contraire associer les acteurs concernés et se sentant concernés dans des instances de concertation, de dialogue et d’écoute. Il faut permettre à chacun de profiter de cet espace public de manière égale. Les citoyens pourront alors librement décider, au terme de leur réflexion, que des précisions doivent être apportées sur tel ou tel élément de l’Histoire : la pédagogie doit primer. Des plaques explicatives peuvent porter cette volonté, afin d’objectiver les faits passés.

L’essentiel est le respect de chacun, l’attachement à nos valeurs, le souci du lien social et du respect des individualités. Il est important que chaque citoyen se saisisse de ces enjeux !

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